Le Prix Gaïa 2024 distingue trois nouveaux lauréats

Unique en son genre, le Prix Gaïa distingue chaque année les meilleurs parmi les meilleurs, celles et ceux ayant œuvré ou œuvrant encore dans le domaine de l’horlogerie, de son art et de sa culture. La bourse Horizon Gaïa encourage quant à elle la relève dans les domaines de prédilection de cette distinction.

Le 19 septembre dernier, Régis Huguenin-Dumittan, conservateur du Musée international d’horlogerie (MIH) et président du jury du Prix Gaïa, a remis les trophées tant convoités à trois nouvelles personnalités ayant œuvré dans les domaines ciblés par cette distinction. Fabrication de boîtes de montres, historiographie germanique de la mesure du temps ou encore management d’une entreprise familiale indépendante ont été mis à l’honneur cette année. Carine Bachmann, directrice de l’Office fédéral de la culture, a pris part à cette cérémonie qui s’est tenue dans les murs du musée chaux-de-fonnier. Les distinctions ont été remises à:

  • Jean-Pierre Hagmann, lauréat dans la catégorie Artisanat et création, pour avoir porté, au fil de sa carrière, la fabrication de boîtes de montres à son plus haut niveau d’excellence, dans le respect des méthodes traditionnelles, et avoir cultivé un savoir-faire essentiel de l’horlogerie dans un état d’esprit d’ouverture et de partage.
  • Caroline Rothauge, lauréate de la catégorie Histoire et recherche, pour ses nombreuses études fondamentales renouvelant l’historiographie germanique de la mesure du temps par une approche culturelle alliant brillamment sources archivistiques et artefacts matériels.
  • Jasmine Audemars, lauréate de la catégorie Esprit d’entreprise, pour avoir insufflé un développement constant et prodigieux à l’entreprise familiale Audemars Piguet, lui permettant de s’élever au rang de multinationale, tout en perpétuant son indépendance et en préservant ses réseaux historiques de fournisseurs.

Artisanat et création: Jean-Pierre Hagmann
Né en 1940, Jean-Pierre Hagmann a commencé sa formation professionnelle en 1956 par un apprentissage de bijoutier-joaillier chez Ponti Gennari, à Genève.

Après diverses expériences à Zurich et Genève, il œuvre, de 1966 à 1970, auprès de Jean-Pierre Ecoffey comme chaîniste, puis, de 1976 à 1983, comme chef d’atelier de fabrication de boîtes et directeur de production. Entretemps, il a officié en tant que chef d’atelier et du service après-vente de Moto-Sport Genève, où il préparait les moteurs de course pour les championnats suisse et français.

Après une année passée au sein de la société Stern Créations à développer de nouveaux cadrans, Jean-Pierre Hagmann se met à son propre compte en 1984. Il dépose le poinçon de maître JHP n°4130. L’artisan crée des boîtiers pour Svend Andersen et Franck Müller, puis pour la plupart des marques suisses les plus renommées.

Fin 2018, à 78 ans, Jean-Pierre Hagmann cède son atelier à Vacheron Constantin, marque pour laquelle il consacre son temps comme formateur bijoutier-boîtier et à la restauration du patrimoine.

Il est alors l’un des derniers artisans capables de concevoir et réaliser une boîte de montre entièrement par des machines traditionnelles guidées à la main, telles que la scie, la lime, le tour et la fraise. Célébré dans les catalogues de vente aux enchères, il est considéré comme le plus célèbre des artisans-boîtiers. Sa signature «JHP» est reconnue dans le monde entier et attire la convoitise des collectionneurs.

Homme passionné et infatigable, Jean-Pierre Hagmann intègre en 2020 la société Akrivia pour transmettre son savoir-faire dans la production de boîtes en acier, or et platine.

Histoire et recherche: Caroline Rothauge
Née en 1981 à Eckernförde, dans le nord de l’Allemagne, Caroline Rothauge fréquente, à partir de l’an 2000, l’Université de Lüneburg, principalement dans le domaine de l’histoire sociale et culturelle. Elle y obtient une maîtrise en 2007, après un séjour (2003 à 2004) à Santiago de Compostela, dans le cadre d’un programme Erasmus, dans la filière d’histoire moderne et contemporaine, communication et journalisme.

Dès 2008, elle entame un doctorat à l’International Graduate Centre for Study of Culture à l’Université Justus Liebig de Giessen, couronné, en 2012, du dépôt de sa thèse portant sur la guerre civile espagnole à travers les films et la télévision. Elle occupe par la suite le poste de professeure assistante à la chaire d’histoire moderne et contemporaine, à la Friedrich-Alexander-Universität d’Erlangen-Nürnberg, et, depuis 2015, au sein de l’Université catholique d’Eichstätt-Ingolstadt. Elle se spécialise alors dans l’histoire culturelle des temporalités à travers un projet de recherche mené également auprès des universités de Berlin (2017-2018) et Freiburg (2019-2020) portant sur le temps dans la vie quotidienne de l’Empire allemand vers 1900.

Dans le cadre de ses recherches et de son enseignement, Caroline Rothauge se concentre principalement sur l’histoire du temps et de la mesure du temps aux 19e et 20e siècles. A travers un parcours académique riche et diversifié, elle contribue significativement à l’exploration et à la diffusion des connaissances relatives à la mesure du temps et aux cultures temporelles dans une approche liant archives de diverses natures et objets.

En 2021, elle dépose son travail d’habilitation en histoire moderne et contemporaine portant le titre Zeiten in Deutschland 1879-1919. Konzepte, Kodizes. Konflikte (Times in Germany 1879-1919: Concepts, Codices, Conflicts), sous la direction du Prof. Dr. Friedrich Kiessling.

Sa recherche est menée dans huit centres d’archives, comme sur la base de sources imprimées et l’étude d’artefacts matériels. Ce travail, empiriquement riche, démontre une expertise approfondie et offre de nouvelles perspectives significatives sur les notions et les manières de traiter le temps autour de 1900. Elle démontre que les processus de négociation temporelle en Allemagne étaient extrêmement dynamiques et conflictuels. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, ces processus n’ont pas conduit à une standardisation du temps, mais à une pluralisation accrue des concepts temporels.

En 2022, elle reçoit le prix de la «meilleure habilitation» à la Catholic University of Eichstätt-Ingolstadt pour ses travaux sur l’histoire de la mesure du temps en Allemagne. La version éditée de sa thèse d’habilitation est publiée en 2023 aux éditions Brill et devient rapidement une référence. Avant l’achèvement de cette somme, Caroline Rothauge avait déjà publié dans des revues universitaires de haut niveau, tel que l’Historische Zeitschrift (2017) et la German History (2021). La visibilité et l’intérêt pour ses recherches sur le temps sont également attestés par plusieurs bourses obtenues et de nombreuses invitations à des séminaires et conférences, tant au niveau national qu’international.

Depuis 2023, Caroline Rothauge est professeur d’histoire allemande et européenne du 19e siècle à l’Université de Hambourg. Elle maintient un intérêt constant et étendu pour l’histoire du temps et de sa mesure, tant dans la recherche que dans l’enseignement, en particulier dans le domaine de la standardisation du temps dans les pays industrialisés occidentaux. Elle a également élaboré et dirigé un cours sur l’histoire du temps au 19e siècle, ainsi que plusieurs séminaires sur les conceptions et les formes de traitement du temps à l’époque moderne.

Esprit d’entreprise: Jasmine Audemars
Arrière-petite-fille de Jules Louis Audemars, cofondateur avec Edward Auguste Piguet, en 1875 au Brassus, de la manufacture d’horlogerie Audemars Piguet, Jasmine Audemars naît en 1941 et passe toute son enfance à la Vallée de Joux, où elle baigne dans l’horlogerie, son grand-père et son père étant actifs dans l’entreprise. Elle passe des soirées à écouter d’interminables discussions sur des calibres, des mouvements, des cadrans… tout en visitant régulièrement ce que l’on appelait alors «La Fabrique».

Dans le même temps, de sa mère anglaise, elle hérite le virus des voyages et celui de la lecture. Après le collège secondaire, elle obtient une maturité commerciale à Lausanne et enchaîne avec des études à l’Université de Genève, où elle décroche une licence en sciences sociales et histoire économique.

Décidée à devenir journaliste, elle collabore à différents quotidiens genevois, puis devient en 1968, journaliste économique au Journal de Genève. Jasmine Audemars est promue rédactrice en chef adjointe en 1970, poste qu’elle occupe jusqu’en 1980, date à laquelle elle est nommée rédactrice en chef. Elle assume alors la responsabilité du contenu éditorial du journal et prend la direction d’une soixantaine de journalistes et collaborateurs extérieurs. Durant ces années, en tant qu’éditorialiste et analyste, ses principaux centres d’intérêt sont l’économie, le commerce international et la politique étrangère.

En 1992, elle quitte le quotidien genevois pour succéder à son père à la présidence du Conseil d’administration d’Audemars Piguet, où elle siégeait depuis 1987 et dont elle connaît déjà la mission: perpétuer l’indépendance de l’entreprise toujours en main des familles fondatrices, afin de la transmettre aux générations futures. Ce qui signifie préserver et enrichir un savoir-faire horloger séculaire, veiller à la santé de l’entreprise pour être à tout moment en mesure d’affronter des vents contraires, en pensant sans cesse à long terme.

A cette époque, Audemars Piguet est une PME qui, depuis Le Brassus, distribue ses montres par l’intermédiaire d’un réseau d’agents dans le monde. Dans les années nonante, à l’heure où les rachats par de grands groupes sont légion, Audemars Piguet commence à se verticaliser en amont, s’implante au Locle, puis à Meyrin. En aval, la société reprend la distribution des montres et, dès le début des années 2000, ouvre progressivement des filiales pour finalement créer, à partir de 2014, son propre réseau de boutiques et AP Houses dans le monde. Désireuse de contribuer au rayonnement de la Vallée de Joux, elle a également créé au Brassus le Musée Atelier et l’Hôtel des Horlogers, ouvert aux autres marques et aux visiteurs de la région.

Aujourd’hui, Audemars Piguet est une multinationale qui compte plus de 2’900 collaboratrices et collaborateurs, produit quelque 54’000 montres par année, possède une vingtaine de filiales et plus de 90 boutiques. Elle réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 2’200 millions de francs. Ce développement a été possible grâce à l’esprit d’entreprise qui imprègne chaque acteur de la société et grâce à un réseau de fournisseurs tout aussi passionnés de haute horlogerie.

En novembre 2022 Jasmine Audemars quitte le Conseil d’administration. Désormais, elle se consacre à des activités caritatives et préside notamment la Fondation Audemars Piguet pour les Arbres, fondée en 1992, et la Fondation Audemars Piguet pour le Bien Commun, créée en 2022.

Bourse Horizon Gaïa: Baptiste Tognet-Bruchet
A côté des trois catégories dans lesquelles des personnalités confirmées du monde horloger sont distinguées, Horizon Gaïa est une bourse d’encouragement, rendue possible grâce à la bienveillance de la Fondation Watch Academy, mise au concours à destination de la relève dans les domaines de prédilection du prix Gaïa: artisanat-création, histoire-recherche et esprit d’entreprise. La bourse finance tout ou partie d’un projet individuel.

Le boursier Horizon Gaïa 2024 est Baptiste Tognet-Bruchet, étudiant en histoire de l’Université de Neuchâtel. Par son projet de «Guide des archives de la montre électronique», il entend proposer un outil de travail aux chercheuses et chercheurs afin de susciter de nouvelles approches et perspectives sur l’histoire horlogère suisse et internationale de la deuxième moitié du 20e siècle.

26.9.2024