Quatre talents honorés par le Prix Gaïa

Depuis 1993, cette distinction récompense des carrières extraordinaires accomplies dans le domaine de l’horlogerie, de son art et de sa culture.

L’édition 2020, qui s’est tenue le 17 septembre dernier au MIH, a primé quatre personnalités au talent horloger incontesté.

Unique en son genre, le Prix Gaïa distingue les meilleurs parmi les meilleurs, celles et ceux qui ont contribué ou contribuent encore à la notoriété de l’horlogerie, de son histoire, de sa technique et de son industrie. Le Musée international d’horlogerie (MIH) de La Chaux-de-Fonds, ville dont l’histoire économique et sociale est étroitement liée à l’horlogerie, marque par ce prix sa reconnaissance aux héritiers spirituels de la culture horlogère qui imprègne les collections du musée, comme la ville.

Cette année, le jury du Prix Gaïa, composé de dix personnalités actives dans le domaine de l’horlogerie, a désigné:

  • Antoine Preziuso, lauréat dans la catégorie Artisanat et création, pour son approche systémique de la mécanique horlogère dans ses créations exceptionnelles, sa persévérance dans le développement de sa marque et son engagement dans la transmission de sa passion.
  • Denis Savoie, lauréat dans la catégorie Histoire et recherche, pour sa carrière exceptionnelle de théoricien, constructeur et historien des cadrans solaires alliant la plus grande rigueur scientifique à des facultés de vulgarisation hors du commun.
  • Felix Baumgartner et Martin Frei, lauréats dans la catégorie Esprit d’entreprise, pour le rôle précurseur joué par Urwerk dans la définition d’une horlogerie du 21e siècle humble, rigoureuse et audacieuse, fruit d’un dialogue permanent et d’une fidélité à toute épreuve entre le designer et l’horloger.

Artisanat et création: Antoine Preziuso
Antoine Preziuso est né à Genève en 1957. Passionné dès son plus jeune âge par l’horlogerie, il fait ses études dans la cité de Calvin puis est admis, en 1974, à l’Ecole d’horlogerie de Genève où il se forme en tant qu’horloger-rhabilleur, puis horloger-praticien. En 1978, il est engagé par Patek Philippe au sein des ateliers de complications horlogères. En 1980, la maison de vente Antiquorum le sollicite pour l’ouverture du premier atelier de restauration et d’expertise en montres de collections. Il y affine ses connaissances de l’horlogerie ancienne et ses compétences dans les mouvements à complications. Dès 1981, il ouvre son propre atelier d’horlogerie ancienne où il se voit confier des pièces rares par le Musée d’horlogerie de Genève ainsi que par des collectionneurs. En 1989, Breguet le mandate pour le développement et la mise en fabrication en série de montres-bracelets à répétition minutes et quantième perpétuel.

La première montre portant la signature d’Antoine Preziuso voit le jour en 1986. Baptisée Sienna, elle s’inspire de l’horloge de Sienne, en Italie. Pour l’habiller, l’horloger relève le pari original de découper un cadran en marbre de Carrare. En 1991, il créé une répétition minutes à quantième perpétuel, dotée d’un système breveté d’armage de la sonnerie par la lunette tournante de la boîte. Parallèlement, il participe au développement de montres compliquées pour différentes grandes marques. Il expose au salon de Bâle pour la première fois en 1996 sur le stand de l’Académie des horlogers créateurs indépendants (AHCI).

En 2002, il présente une collection de sept tourbillons dans des habillages innovants, dont la météorite deviendra l’empreinte du créateur. Cette même année, il participe à l’Opus Two de Harry Winston. Prospectant les marchés du Moyen-Orient et de Russie, Antoine Preziuso réalise également plusieurs modèles pour femmes. Ainsi, outre Genève (2004), il ouvre au fil des années des boutiques à Kiev et Osaka (2007) et Dubaï (2010).

L’entreprise croît d’une façon contrôlée, en conservant une indépendance totale et en poursuivant les objectifs fondamentaux d’Antoine Preziuso: la recherche de la qualité, de l’innovation, de l’originalité et de la créativité. Depuis 2001, Antoine Preziuso réalise chaque année une exposition à l’occasion de laquelle connaisseurs, amateurs, clients et professionnels de la communication visitent les ateliers de production et de création et peuvent dialoguer avec les horlogers, graveurs et sertisseurs de la marque.

Les 25 ans d’indépendance d’Antoine Preziuso sont marqués par la création d’une pièce emblématique, protégée par deux brevets: le TRI-Tourbillon.

En 2015, il présente à Baselworld son Tourbillon des Tourbillons, résultat de trois années de collaboration intensive avec son fils Florian. Ce chef-d’œuvre reçoit deux récompenses lors du Grand prix d’horlogerie de Genève: le Prix de l’innovation et le Prix du public.

L’œuvre d’Antoine Preziuso s’articule autour de trois valeurs fortes que sont le respect des traditions horlogères, la maîtrise des grandes complications et la recherche constante de l’innovation, dans le domaine technique comme dans celui du design. Antoine Preziuso Genève est une affaire de famille. Florian, qui a suivi le même cursus d’études que son père, est aujourd’hui très impliqué dans toutes les nouvelles créations. Il maîtrise tout l’aspect R&D et production de la société. Quant à Laura, bijoutière et joaillère, elle alterne entre les enseignements à l’école d’arts appliqués à Genève et la création de bijoux mécaniques, une interprétation unique dans l’univers de la haute joaillerie. Finalement, pour la gestion des différentes facettes de cette entreprise familiale, May son épouse, vient compléter ce trio.

Histoire et recherche: Denis Savoie
Denis Savoie, fils de cheminot né en 1965, voue une passion à l’astronomie et aux cadrans solaires dès son adolescence. En 1981, suite à un camp d’astronomie à Céreste (Alpes de Haute-Provence), il rencontre trois maîtres qui vont chacun le former à leur discipline:

  • Robert Sagot (1910-2006), référence mondiale en matière de gnomonique, qui l’initie à tout ce qui a trait aux cadrans solaires, à leur calcul, à leur histoire, à leur technique de construction.
  • Bruno Morando (1931-1995), astronome et directeur du Bureau des longitudes, le pousse à poursuivre ses études alors qu’il est un élève peu assidu.
  • Alain Segonds (1942-2011), sous la direction duquel il entreprend une thèse de doctorat à l’Observatoire de Paris, consacré aux théories planétaires anciennes et à leur validité.


Parallèlement à ses études, Denis Savoie intègre le Palais de la découverte à Paris - Cité des sciences et de l’industrie, célèbre musée de sciences fondé en 1937 par Jean Perrin. Il y réalise ensuite sa carrière d’historien des sciences où il est successivement directeur du planétarium (1993-1999), chef du Département astronomie-astrophysique (1999-2013) et directeur de la Médiation scientifique et de l’éducation (2013- 2018). Aujourd’hui conseiller scientifique et chargé d’histoire des sciences à Universcience, il est également chercheur associé à l’Observatoire de Paris, au sein du SYRTE (département Système de Référence Temps-Espace).

A l’Observatoire encore, au sein de l’équipe Histoire de l’astronomie, il participe à la rédaction de la partie «calcul» et «astronomie copernicienne» des trois volumes du De revolutionibus de Copernic paru en 2015. Cette somme unique de 2’700 pages, commencée en 1973, a nécessité 40 ans de travail et des compétences multiples (philologie, histoire, astronomie...).

Président - à la suite de son maître Robert Sagot - de la Commission des cadrans solaires de la Société astronomique de France, de 1990 à 2009, Denis Savoie a restauré et construit de nombreux cadrans solaires en France et à l’étranger. Son engagement dans la préservation de ce patrimoine historique lui permet de sauver plusieurs cadrans arabo-islamiques d’une destruction certaine en Egypte.

Membre titulaire de l’Académie internationale d’histoire des sciences, il a publié de nombreux ouvrages et articles de référence sur la théorie des cadrans solaires, leur histoire et la mesure du temps. A côté d’articles ou d’ouvrages très techniques, il écrit de façon accessible au plus grand nombre pour faire découvrir toute la richesse et les subtilités qui se cachent derrière les cadrans solaires, les nocturlabes ou les astrolabes. Son action en faveur du partage des connaissances a été couronnée par le prix Jean Perrin de la Société française de physique en 2012 et par l’Académie des sciences en 2017 pour ses contributions majeures à la gnomonique.

Esprit d’entreprise: Felix Baumgartner et Martin Frei
Fils et petit-fils d’horlogers, Felix Baumgartner est né à Schaffhouse en 1975. Il découvre les pendules et l’histoire de l’horlogerie avec son père qui en détient une cinquantaine à la maison et à l’atelier. Felix Baumgartner fait ses premières armes dans le monde de l’horlogerie à l’établi de son père, restaurateur de pendules de collection. Il s’inscrit donc naturellement à l’Ecole d’horlogerie de Soleure en 1992. En 1995, diplôme en poche, il s’établit en tant qu’horloger indépendant à Genève. Il développe anonymement différentes complications pour des marques prestigieuses de la place. La même année, il rencontre Martin Frei à Zurich. En 1998, Felix Baumgartner est admis au sein de l’Académie horlogère des créateurs indépendants (AHCI).

Né à Winterthur en 1966 d’un père ingénieur et d’une mère professeure d’art, Martin Frei obtient en 1987 son diplôme de Design Graphique à l’Ecole d’arts visuels de Zurich et en 1989 son Bachelor à la Haute Ecole d’Art et Design de Lucerne. L’année suivante, il étudie la vidéo et le cinéma à la Hochschule für Gestaltung und Kunst de Lucerne. En 1994, il fonde le groupe d’artistes appelé U.S.A. «United Swiss Artists» à Lucerne.

Felix Baumgartner et Martin Frei se rencontrent à Zurich en 1995. Ensemble, ils discutent de longues heures sur une nouvelle conception de l’horlogerie contemporaine. Déjà, Martin Frei dessine les premières créations Urwerk, les UR-101 et UR-102, alors même que la marque voit le jour officiellement en 1997.

Urwerk dépose en 2007 un brevet pour la complication «satellite». Employant quinze collaborateurs, l’entreprise produit actuellement environ 150 montres par an. Elle développe des pièces à l’esthétique originale et techniquement complexes.

Felix Baumgartner et Martin Frei reçoivent notamment à deux reprises, en 2014 et 2019, le Prix spécial du jury du Grand prix d’horlogerie de Genève.

Urwerk est le symbole de l’iconoclasme et de l’innovation dans le monde de l’horlogerie moderne. A travers leur société, Felix Baumgartner et Martin Frei popularisent des montres inédites et inaugurent le mouvement des horlogers indépendants avides de conceptions nouvelles et futuristes qui donnent un souffle nouveau à un marché souvent emmuré dans des conceptions traditionnelles de l’horlogerie depuis des décennies.

Bourse Horizon Gaïa
Destinée à encourager la relève dans les domaines de prédilection du Prix Gaïa, la bourse Horizon Gaïa, rendue possible grâce à la bienveillance de la Fondation Watch Academy, subventionne, en partie ou en intégralité, des projets individuels.

Ce soutien financier a été remis cette année à Zoé Snijders, étudiante en conservation-restauration à la Haute école Arc de Neuchâtel, dans la spécialisation des objets techniques, scientifiques et horlogers. Son bagage lui permettra d’appréhender un mécanisme aussi complexe que celui de l’horloge astronomique de Delvart, rentrée dans les collections du MIH en 2015, un objet qui mêle science, croyance, histoire et savoir-faire horloger, dont Zoé Snijders s’emploiera à étudier l’origine, la symbolique et le fonctionnement dans le but de mieux le valoriser auprès des visiteurs.

24.9.2020