Prix Gaïa 2019

Régis Huguenin-Dumittan, Karl-Friedrich Scheufele, Suzanne Rohr, Laurent Tissot et Théo Bregnard

Riche édition 2019 du Prix Gaïa: trois nouveaux lauréats distingués pour leurs parcours horlogers hors du commun, la nouvelle bourse Horizon Gaïa octroyée à une jeune étudiante, alors que la souscription de la nouvelle montre du musée, la MIH Gaïa, a été lancée.

Le 19 septembre dernier, le monde horloger s’était donné rendez-vous au Club 44 de La Chaux-de-Fonds pour la remise des Prix Gaïa. Après avoir remporté le Prix du jury 2017 du Grand prix d’horlogerie de Genève, Suzanne Rohr, émailleuse de renom, s’est vue distinguée dans la catégorie Artisanat et création. Anita Porchet, à qui elle a transmis son savoir, était à ses côtés dans ce moment fort et a retracé le parcours précurseur et courageux de cette artiste. Laurent Tissot, historien, dont le parcours a été narré par un de ses anciens élèves de l’université de Neuchâtel, a quant à lui été distingué dans la catégorie Histoire et recherche. Le prix Esprit d’entreprise a été remis à Karl-Friedrich Scheufele. Jacky Ickxy, coureur automobile et ami de longues dates, a évoqué les moments forts de sa vie avec humour et originalité. Lancée lors de la précédente édition du Prix, la bourse Horizon Gaïa a connu sa première lauréate en la personne de Aude Moutoussamy qui effectuera des recherches sur l’appropriation des médias sociaux par les marques horlogères. Enfin, attendue depuis longtemps, la nouvelle montre du MIH a été présentée au public. Inspirée du trophée du Prix Gaïa et de l’architecture du musée, cette pièce, œuvre d’une étroite collaboration entre artisans et entreprises locaux, est en souscription jusqu’à mi-janvier 2020.

Seul en son genre, le Prix Gaïa, considéré comme le Nobel de l’horlogerie, a été décerné pour la première fois en 1993 par le Musée international d’horlogerie (MIH) de La Chaux-de-Fonds, ville dont l’histoire économique et sociale est étroitement liée à la branche. Avec cette distinction, la commune a voulu marquer sa reconnaissance aux héritiers spirituels de la culture horlogère qui imprègne les collections du musée, comme la ville.

Artisanat et création: Suzanne Rohr
Le jury du Prix Gaïa a distingué Suzanne Rohr pour son rôle pionnier, sa persévérance et son indépendance dans l’apprentissage, la maîtrise et la transmission de l’art de l’émaillage.

Née à Genève en 1939, Suzanne Rohr a grandi dans une famille ouverte aux arts classiques. Attirée dès sa tendre enfance par le dessin et la peinture, elle montre son goût pour la finesse et la perfection du trait. En fin de scolarité, elle découvre avec admiration une exposition d’émaux au Musée d’art et d’histoire de Genève. Elle effectue dès lors sa formation d’émailleuse et de peintre miniaturiste sur émail à l’Ecole des arts décoratifs de Genève, où elle obtient son diplôme fédéral en 1959. Elle est la seule élève de sa classe. En guise de prix, elle se voit offrir par l’Instruction publique du canton de Genève une année supplémentaire dans la classe de bijouterie-joaillerie. La même année, elle gagne le Prix du concours de la Fondation Hans Wilsdorf pour la création d’un bracelet de dame incluant une montre dans le décor émaillé.

En 1960, ne trouvant aucun débouché professionnel, Suzanne Rohr ouvre son propre atelier. C’est le début d’une carrière indépendante de laquelle elle ne se détachera plus. De 1960 à 1968, Suzanne Rohr cherche sa voie. Elle créé des bijoux, des coupes et des tableaux émaillés, utilisant des techniques de cloisonné, de champlevé ou avec des paillons d’argent et d’or.

A la même époque, elle rencontre le célèbre miniaturiste genevois Carlo Poluzzi. Il devient son mentor et le sera pendant 28 ans. A ses côtés, elle affine sa technique et se consacre uniquement à la miniature sur émail. Elle vend quelques miniatures à La Côte-aux-Fées, au Locle et à Neuchâtel et effectue des travaux pour les maisons d’horlogerie de Genève.

A partir de 1967, Suzanne Rohr entre en contact avec Patek Philippe où elle rencontre des connaisseurs de son art. Elle parvient à imposer son point de vue et à obtenir notamment une qualité d’or irréprochable, condition indispensable à la production d’une peinture parfaite. Dès 1970, elle peut compter sur des commandes régulières et sur un soutien constant de la maison genevoise comme de la famille Stern qui lui témoignera sa confiance pendant près de 50 ans.

Fascinée par l’art de la miniature, par l’harmonie des formes et la beauté des couleurs, Suzanne Rohr à ardemment souhaité transmettre cet art et le voir encore reconnu au 21e siècle. En 2017, elle obtient, avec son ancienne élève Anita Porchet, le Prix spécial du jury lors du Grand prix d’horlogerie de Genève, pour la grande perfection de leur travail.

Histoire et recherche: Laurent Tissot
Le jury du Prix Gaïa a rendu honneur à Laurent Tissot pour sa contribution au renouvellement de la connaissance de l’histoire économique, sociale et culturelle de l’horlogerie suisse au niveau académique par l’impulsion de nombreux travaux de recherche, par l’abondance de ses publications et par sa force communicative.

Né à Fribourg le 5 février 1953, Laurent Tissot fréquente le Collège Saint-Michel à Fribourg, jusqu’en 1974. Il poursuit ses études à l’Université de Lausanne, où il décroche une licence ès sciences politiques en 1978 et un doctorat en 1987 en travaillant sur les archives de l’entreprise Paillard, à Yverdon. Entre les deux, il a été assistant de recherche du Prof. Grüner à l’Université de Berne, puis assistant du Prof. André Lasserre à l’Université de Lausanne. Sa formation en science politiques et économiques se double d’une spécialisation en histoire. Laurent Tissot devient premier assistant à l’Université de Lausanne (1986-1988, 1991-1992) ainsi que suppléant du prof. André Lasserre (1986-1987). S’ensuit une bourse du Fonds national et une expérience auprès de la London School of Economics and Political Science - Business History Unit.

Laurent Tissot construit sa carrière académique en franchissant patiemment toutes ses étapes. Chargé de cours à l’Université de Fribourg dès 1994, puis maître-assistant (1995-1998), professeur associé (1999-2002), directeur de recherches (2002-2006) et enfin professeur ordinaire (2006-2018) à l’Université de Neuchâtel.

Engagé dans de très nombreuses instances locales comme internationales, il assume notamment la présidence du conseil scientifique de l’institut l’Homme et le temps à La Chaux-de-Fonds (1999-2006), mettant sur pied colloques et publications. Il occupe encore le poste de vice-doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de Neuchâtel de 2007 à 2009 et celui de doyen de 2009 à 2011.

Engagement
Dès les années 1990, Laurent Tissot met sa spécialisation d’historien-économiste et son dynamisme au profit du développement de la connaissance de l’histoire de l’industrie horlogère. Durant plus de vingt ans, il entreprend, par ses propres recherches et à travers la direction de travaux de chercheurs et de groupes de chercheurs, par l’organisation de colloques et par de nombreuses publications, un renouvellement complet de l’historiographie économique, sociale et culturelle de l’horlogerie suisse, souvent mythifiée par le passé.

Après les travaux pionniers de François Jequier et son ouvrage sur la Fleurier Watch Co, le travail de Laurent Tissot apporte un élément supplémentaire à l’histoire de l’horlogerie. Il a notablement œuvré pour le développement de l’histoire de l’horlogerie en tant que discipline académique. Dans cette optique, il devient l’un des principaux rénovateurs de l’histoire de l’horlogerie suisse selon les perspectives actuelles de recherche. Tout au long de sa carrière, il milite pour un décloisonnement de l’histoire technicienne de l’horlogerie et pour la mise en perspective de l’histoire de l’horlogerie dans les problématiques économiques et sociales nationales et internationales (notamment à l’échelle de l’Arc jurassien franco-suisse), permettant une compréhension plus complète et plus fine des spécificités de la branche. La grande majorité des recherches récentes dans ce domaine ont été effectuées sous sa direction: histoire générale de l’industrie horlogère au cœur du tissu économique de la Suisse, histoire de la recherche et développement, histoire des migrations dans l’industrie horlogère, histoire du cartel horloger, histoire des districts industriels, etc.

Grâce à sa capacité de conviction et à ses réseaux personnels, il a aussi permis à de nombreux étudiant-e-s et doctorant-e-s d’ouvrir les portes des entreprises horlogères pour en sortir une histoire inédite. Loin d’être enfermé dans une tour d’ivoire que peut être l’Université, ses contacts privilégiés avec l’industrie ont contribué au développement de la sensibilité de plusieurs marques pour la préservation de leur patrimoine.

Au-delà de ses propres intérêts de recherche, il a su faire une place à l’horlogerie dans les champs de recherches connexes de ses collègues, notamment dans des disciplines comme la sociologie, l’économie régionale, l’ethnologie et l’étude des migrations.

Esprit d’entreprise: Karl-Friedrich Scheufele
Le jury du Prix Gaïa a distingué Karl-Friedrich Scheufele pour l’essor et la reconnaissance internationale qu’il a su donner à l’entreprise familiale et pour le développement de nouvelles entités horlogères en conciliant humanisme, bienfacture et innovation.

Karl-Friedrich Scheufele naît en 1958 dans la ville de Pforzheim, en Allemagne, où il grandit jusqu’à l’âge de 15 ans. En 1963, son père Karl Scheufele III, qui dirige la Karl Scheufele GmbH fondée en 1904 par son grand-père, rachète la manufacture horlogère Chopard, basée à Genève. Karl-Friedrich s’installe alors en Suisse avec ses parents et sa sœur, et il effectue sa scolarité à l’Ecole internationale de Genève. Puis, il suit un apprentissage en joaillerie auprès d’un maître-artisan genevois, avant d’étudier à l’Ecole des hautes études commerciales, à Lausanne. De retour à Genève après un voyage initiatique autour du monde, il rejoint la société familiale en 1979 et apprend les métiers qui y sont pratiqués en travaillant successivement au sein de ses différents départements.

Aujourd’hui, Karl-Friedrich Scheufele est co-président de la maison Chopard. Il dirige les structures de Chopard Manufacture et de Fleurier Ebauches, qu’il a lui-même fondées, ainsi que le pôle d’horlogerie masculine de la maison et les différents aspects de management. Avec sa sœur cadette Caroline, il est impliqué dans les projets marketing, publicité et communication de l’entreprise. Dans chacune de ces tâches, l’innovation, la bienfacture et le souci du détail sont les valeurs auxquelles il est le plus attaché. Chopard emploie environ 2’000 personnes.

Ses réalisations
La maison Chopard a construit sa réputation avec des collections iconiques répondant aux noms de «Happy Diamonds», «Happy Sport» ou «Mille Miglia», mais est aussi reconnue pour ses créations joaillères et pour son expertise technique, incarnée par la collection L.U.C.

Karl-Friedrich Scheufele concilie avec harmonie ses engagements professionnels et ses intérêts personnels. Sa passion pour l’automobile classique, par exemple, a conduit Chopard à tisser des partenariats avec la fameuse course de la Mille Miglia - à laquelle il prend part chaque année depuis 1988 - et avec Porsche Motorsport. Toujours en quête d’œuvres rares, Karl-Friedrich Scheufele est également un collectionneur averti. Au fil des années, il a rassemblé pour Chopard une importante collection d’horloges et de montres mécaniques qui présentent un intérêt notable d’un point de vue à la fois technique et historique. Exposée au L.U.CEUM, cette collection retrace l’histoire du temps et l’évolution de Chopard.

En 1996, il donne vie à sa vision de la belle horlogerie en fondant Chopard Manufacture, à Fleurier, renouant ainsi avec la tradition de «manufacture» de mouvements mécaniques et avec l’héritage de Louis-Ulysse Chopard.

En cherchant à enrichir la collection du musée, Karl-Friedrich Scheufele découvre l’histoire de l’horloger Ferdinand Berthoud et en acquiert la marque en 2006. En 2015, il sort le premier modèle de la marque Chronométrie Ferdinand Berthoud et reçoit l’Aiguille d’or du Grand prix d’horlogerie de Genève en 2016. L’année suivante, il remporte la même distinction pour la montre Chopard L.U.C Full Strike.

Karl-Friedrich Scheufele est aussi un amateur de grands vins, une passion qu’il partage à travers une autre aventure entrepreneuriale: trois boutiques de vins appelées «Caveau de Bacchus» ont ainsi vu le jour à Genève, Lausanne et Gstaad.

Malgré un emploi du temps très chargé, Karl-Friedrich Scheufele ne cesse de voyager à travers le monde avec sa femme Christine pour rendre visite à leurs différents clients et assister aux évènements importants de la maison. Il attache une grande importance à sa famille et cultive avec soin sa vie privée. Il consacre son temps libre à des activités sportives telles que la course, le vélo, le ski et la randonnée en montagne. Les valeurs d’humanisme et d’amitié de toute la famille Scheufele s’incarnent dans leurs engagements philanthropiques contre la leucémie et le sida, et en faveur de l’environnement.

Quand on lui demande quel mot résume le mieux sa quête d’absolu dans son travail, il répond infailliblement la qualité: qualité dans la bienfacture, qualité dans la communication, qualité de temps et enfin, non des moindres, qualité de vie, aussi bien au niveau personnel que professionnel.

Horizon Gaïa
A côté des trois catégories dans lesquelles des personnalités confirmées du monde horloger sont distinguées, Horizon Gaïa est une bourse d’encouragement, rendue possible grâce à la bienveillance de la Fondation Watch Academy, mise au concours à destination de la relève dans les domaines de prédilection du prix Gaïa: artisanat-création, histoire-recherche et esprit d’entreprise. La bourse finance l’intégralité ou une partie d’un projet individuel.

La boursière Horizon Gaïa 2019 est Aude Moutoussamy, détentrice d’un master d’histoire contemporaine de la Sorbonne et achevant un master en communication et stratégie social média. La dotation de la bourse lui permettra d’effectuer une recherche originale sur les stratégies d’appropriation des médias sociaux par différentes marques horlogères, suisses et étrangères, par le financement de son projet de recherche, intitulé «L’appropriation des médias sociaux par les marques horlogères», pour une durée de six mois.

Montre MIH Gaïa
Dévoilée et disponible depuis le 19 septembre dernier - en souscription -, la montre MIH Gaïa fait honneur au prix éponyme qui a célébré sa 25e édition ce jour même. En 2005, le Musée international d’horlogerie lançait déjà une montre MIH dotée d’un quantième annuel innovant. Près de 15 ans plus tard, la nouvelle réalisation muséale vise un double objectif: sensibiliser le public à la sauvegarde du patrimoine horloger par le financement de différents projets touchant la restauration, la documentation et la valorisation de la collection du musée, tout en présentant les savoir-faire horlogers régionaux. Les fonds serviront en premier lieu à la restauration du Grand Magicien, une pièce à automate emblématique de la collection, réalisée par les Neuchâtelois Jean-David Maillardet et son fils Julien-Auguste en 1830, et le Tellurium de François Ducommun (début du 19e siècle).

Une montre très inspirée
La montre MIH Gaïa porte l’empreinte et l’esprit des lieux qui l’ont vue naître. La pièce, originale dans sa forme et son affichage, s’inspire de l’architecture du musée: un bâtiment brutaliste dont la structure souterraine - signée Georges-Jacques Haefeli et Pierre Zoelly - surprend par son alternance entre espaces vides, béton et luminosité. Un jeu de cache-cache qui a inspiré la création de la boîte du garde-temps, entre enchevêtrement de courbes et de lignes droites.

Le cadran bombé rappelle la forme sphérique du trophée du Prix Gaïa, ainsi que l’architecture des volumes. Dans l’idée de rompre avec la tradition de l’affichage analogique, sans affecter la lisibilité, les heures et les minutes ne sont pas indiquées par des aiguilles, mais par deux disques. Enfin, pour faire écho au Grand Magicien, le dos de la montre cache un secret: le fond du boîtier laisse apparaître la masse oscillante de remontage sur laquelle est gravé le nom «Musée international d’horlogerie».

Un musée, une ville, huit partenaires
La montre MIH Gaïa a vu le jour grâce à l’étroite collaboration d’artisans et d’entreprises chaux-de-fonniers, tous experts dans leur domaine et reconnus mondialement pour la qualité de leur travail. L’Atelier XJC a imaginé le design; Sellita lui a insufflé la vie avec son mouvement; Winiger Horloger a assuré la conception des plans techniques avec le bureau Timeforge; Singer a façonné son cadran; Stila lui a offert une boîte sur mesure; Brasport l’a habillée d’un bracelet de cuir; Cornu & Cie a réalisé la boucle et le Laboratoire Dubois a contribué à sa fiabilité par l’application d’une batterie de tests. En partenariat avec le MIH et les artisans de son atelier de restauration en horlogerie ancienne, chacun de ces experts a redoublé d’efforts afin de créer une montre esthétique et performante résolument unique.

Comment acquérir une montre MIH Gaïa?
Par souscription. Elle est d’ores et déjà accessible en ligne et le sera jusqu’au 19 janvier 2020 (www.montremih.ch). Le prix de vente de cette montre made in La Chaux-de-Fonds est fixé à 2’900 francs. Une remise de 500 francs est proposée aux premiers souscripteurs qui permettront, par leur soutien au musée, la mise en route de la production. Un acompte de 1’000 francs est demandé à la commande, le reste à la livraison prévue à l’été 2020. Dans le cas où la souscription n’atteindrait pas le succès escompté, les investissements seraient intégralement restitués. La montre MIH Gaïa répond également à une demande des visiteurs du musée, à savoir, acquérir lors de leur visite au cœur du patrimoine inscrit à l’UNESCO, une pièce entièrement produite localement. C’est pourquoi elle sera en vente à la boutique du MIH. Gageons également qu’elle représentera un cadeau tout trouvé pour les autorités comme pour les entreprises lors de la réception d’invités prestigieux.

10.10.2019