Lauréats du Prix Gaïa 2016

Qu'elles soient historique, atomique ou contemporaine, les multiples facettes de l'horlogerie sont mises en évidence par le biais des lauréats du Prix Gaïa 2016. Présentation des nominés.

Le 20 septembre dernier, le Musée international d'horlogerie (MIH) de La Chaux-de-Fonds, par le biais de son conservateur Régis Huguenin-Dumittan, a honoré les lauréats 2016 du Prix Gaïa. Cette distinction internationale récompense depuis vingt-trois ans des carrières extraordinaires accomplies dans le domaine de l'horlogerie, de son art et de sa culture. Mauro Dell'Ambrogio, secrétaire d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation, a pris part à la cérémonie.

Unique en son genre, le Prix Gaïa distingue les meilleurs parmi les meilleurs. De renommée mondiale, le MIH marque par ce prix sa reconnaissance aux héritiers spirituels de la culture horlogère qui imprègne les collections du musée.

Artisanat et création: Vianney Halter
Par ses créations retro-futuristes, Vianney Halter peut être considéré comme un précurseur d'une nouvelle ère dans le domaine du design et de l'affichage horloger.

Né en 1963 dans la banlieue parisienne, Vianney Halter étudie à l'école d'horlogerie de Paris, tout en travaillant dans l'atelier de l'horloger Philippe Baille. Il obtient son diplôme en 1980 et consacre ensuite plusieurs années à la restauration d'anciennes pendules, montres de poche et montres-bracelets. En 1989, il s'installe à Sainte-Croix, où il s'associe avec François-Paul Journe et Denis Flageollet pour former THA (Techniques horlogères appliquées). Ils développent des complications et des prototypes pour plusieurs marques prestigieuses, comme Breguet, Cartier, Franck Muller.

En 1994, Vianney Halter fonde sa propre entreprise, qu'il baptise La manufacture Janvier, du nom d'un des horlogers les plus talentueux de l'histoire, Antide Janvier (1751-1835). Dans un premier temps il se consacre à la restauration, au développement de prototypes pour différentes marques (Harry Winston, Breguet, Audemars Piguet) et à des commandes privées.

Sa première création personnelle, la montre-bracelet Antiqua dotée d'un quantième perpétuel, est présentée à Bâle en 1998 dans le cadre de l'Académie horlogère des créateurs indépendants (AHCI). Cette pièce est alors perçue comme une "relique du futur". Par la suite, Vianney Halter développe sa collection avec une dizaine de modèles produits en très petites quantités. A ce jour, moins de 500 pièces portent la signature Vianney Halter. Parmi ces créations, la Trio Grande Date et, plus récemment, la Deep Space Tourbillon ont été particulièrement remarquées et primées.

En tant qu'anticonformiste, Vianney Halter tire son inspiration de la littérature de science-fiction, des romans de Jules Verne, des instruments scientifiques et des voitures anciennes qu'il collectionne. Il conçoit l'horlogerie comme un moyen d'expression; ses montres sont un mélange entre éléments du passé et futuristes et donnent vie à un croisement que Halter qualifie de "futur antérieur". Passionné par les compteurs de tableaux de bord et les instruments de mesure, Vianney Halter appartient clairement à la catégorie des premiers horlogers "indépendants", caractérisés par un style très personnel. Il est par ailleurs considéré comme l'un des précurseurs d'une nouvelle époque qui, au tournant de l'an 2000, a donné naissance à des designs et des affichages inédits dans le domaine de l'horlogerie.

Histoire et recherches: Roger Smith
Les recherches de Roger Smith portent principalement sur le monde de l’horlogerie londonienne du 18ème siècle. Elles se caractérisent par une attention accrue portée aux échanges entre la Suisse et l’Angleterre et par une fine connaissance des objets.

Diplômé en histoire du King's College de Londres et en relations internationales de la London School of Economics, Roger Smith a un parcours d’historien atypique. Il mène des recherches consacrées au monde de la production et du commerce d’objets de luxe au siècle des Lumières, notamment en relation avec l’horlogerie et à la circulation des savoir-faire techniques. Il s’est intéressé de manière plus particulière à la maison horlogère anglo-suisse des Vulliamy, active à Londres depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle ; en parallèle, il s’est penché sur l’entrepreneur James Cox (1723-1800) et sur ses rivaux dans le domaine du commerce de montres et horloges entre l’Europe et l’Asie. Axés autour de l’étude des fréquents échanges d’idées et de main-d’oeuvre qui s’opèrent entre la Suisse et l’Angleterre, les travaux de Roger Smith ont remarquablement contribué à la compréhension du contexte paneuropéen qui caractérise la production horlogère de l’époque. Ils constituent, en ce sens, une référence incontournable pour tout spécialiste de l’histoire de l’horlogerie du XVIIIe siècle, raison pour laquelle au printemps 2013 l’Université de Neuchâtel a accueilli R. Smith en tant que chercheur invité pour un cycle de conférences intitulé Manufacturiers et commerçants : produire et exporter horloges et objets de luxe au XVIIIe siècle.

Les recherches de Roger Smith allient savamment une fine maîtrise des sources archivistiques avec une parfaite connaissance technique et esthétique des objets. Membre de la Society of Antiquaries of London depuis 2006, cette double démarche lui a valu la collaboration avec de nombreux et prestigieux musées londoniens (Victoria and Albert Museum; British Museum; Museum of Sciences), ainsi qu’avec des maisons de vente aux enchères en tant qu’expert et conseiller. Il a notamment participé à l’exposition SingSong : Treasures from the Forbidden City qui s’est tenue au Museum Speelklok d’Utrecht en 2010-2011.

Roger Smith vient de terminer l’édition des journaux de voyage de l’horloger londonien James Upjohn (1722-1795).

Esprit d'entreprise: Giovanni Busca et Pascal Rochat
Giovanni Busca, consultant indépendant, a été professeur et directeur de l'Observatoire cantonal de Neuchâtel (1988-2001); Pascal Rochat est fondateur et directeur de la société Spectratime à Neuchâtel.

Les deux lauréats se sont engagés dans le domaine des horloges atomiques et se sont illustrés tout particulièrement dans le transfert industriel. Ils ont, par leurs compétences et leur enthousiasme, donné à l’Europe son indépendance technologique en matière de localisation et navigation par satellites: les horloges de Spectratime équipent les satellites du système de navigation Galileo (GPS européen), dont elles en constituent le cœur.

Giovanni Busca
Issu du monde académique mais passionné d’applications, Giovanni Busca a, par sa vision et son esprit d’entreprise, donné à l’Observatoire cantonal de Neuchâtel une impulsion remarquable. Ses succès de chercheur lui ont en plus permis de concrétiser un de ses rêves en créant en 1995 une spin-off de l’Observatoire.

Giovanni Busca est né en Italie en 1939. Il effectue une maturité classique puis des études supérieures en physique à l'Université de Turin, où il soutient sa thèse en 1964. Son activité de recherche l’amène à poursuivre, de 1970 à 1977, une carrière académique à l’Université Laval (Québec), où il se spécialise dans le domaine des horloges atomiques. De 1977 à 1978, il étudie le Maser à hydrogène, au National Bureau of Standards, à Boulder au Colorado, et à Oscilloquartz, à Neuchâtel, où il continuera son activité par la suite. Il dépose plusieurs brevets, assume la direction du Groupe Etalons de Fréquence (GEF) chez Asulab et développe une première génération de masers à hydrogène terrestres pour la radioastronomie, qui seront utilisés dans le monde entier. Il démarre aussi la recherche et le développement des horloges au rubidium et au césium sous des contrats de recherche de la Confédération.

En 1988, il est nommé directeur de l’Observatoire cantonal de Neuchâtel et par la suite professeur associé de l’Université de Neuchâtel. Giovanni Busca a déployé une intense activité dans le monde de la recherche par la publication d'une centaine d'articles scientifiques et de sept brevets. Avec un effectif croissant progressivement de 12 à 30 collaborateurs et un financement basé pour deux tiers sur les mandats externes au Canton, Giovanni Busca a contribué à la recherche et au développement vigoureux d'étalons atomiques de fréquence: horloges au rubidium miniaturisé pour applications terrestres et spatiales; maser actif à hydrogène de hautes performances pour les applications en radioastronomie; maser passif à hydrogène pour les applications terrestres et spatiales (Galileo).

Ces trois domaines ont été transférés avec succès à l'industrie. Le premier a suscité la création en 1995 d'une spin-off (TNT-Temex Neuchâtel Time, aujourd'hui Spectratime) avec deux collaborateurs de l'Observatoire (dont Pascal Rochat, alors directeur-adjoint technique). Les deux autres domaines ont par la suite fait l'objet de développements industriels par Spectratime.

En 2001, Giovanni Busca prend sa retraite et fonde la société Kytime dans laquelle il est actif comme conseiller en temps et fréquence jusqu’en 2014. En 2011, il reçoit le prix Marcel Ecabert du Forum Européen Temps et Fréquence et, en 2012, le prix Time Lord de l’International Timing and Synchronisation Forum.

Le parcours de Giovanni Busca a toujours été entièrement motivé par les applications d'une recherche, aussi pointue soit elle. Dans ce domaine confidentiel mais néanmoins prestigieux de la mesure ultraprécise du temps, il a su redonner une place et un rayonnement à la Suisse.

Pascal Rochat
Pascal Rochat est né en 1957. Formé à Lausanne, puis Yverdon, il devient ingénieur-électronicien en 1978. Il rejoint ensuite l'Institut de microtechnique de l'Université de Neuchâtel comme chercheur puis est engagé, dès 1979, chez Oscilloquartz où il développe pendant près de dix ans divers dispositifs électroniques liés à la chronométrie de haute précision. En 1989, il s'engage pour le développement de systèmes de géolocalisation de véhicules auprès de la société Scientific Development Inc aux Etats-Unis et en Suisse. En 1991, il devient le responsable des développements électroniques, puis le directeur-adjoint technique de l’Observatoire de Neuchâtel, chef du projet "horloge à rubidium miniature".

En 1995, Pascal Rochat quitte son poste de directeur-adjoint technique de l’Observatoire pour l’aventure industrielle. Il prend la direction de la spin-off de l’Observatoire: Tekelec Neuchatel Time, qui devient Temex Time en 2003 et Spectratime dès 2007 (Orolia Group). Initialement fondée pour industrialiser l’horloge miniature au rubidium de l’Observatoire, l’entreprise s’est rapidement développée pour industrialiser et mettre sur le marché plusieurs autres développements de l’Observatoire, en particulier le maser à hydrogène passif et le maser à hydrogène actif pour l’espace. Pascal Rochat a ainsi été le moteur du développement industriel des deux types d’horloges actuellement embarquées sur les satellites de navigation Galileo.

Epaulé par un seul collaborateur en 1995, Pascal Rochat a su développer son entreprise à son niveau actuel de 70 employés. Il a mis l’Europe sur la carte mondiale des horloges atomiques industrielles, jusque-là chasse gardée des Etats-Unis.

Dès 2006, il préside aussi la société T4Science, entreprise fondée pour produire et distribuer les masers à hydrogène actifs précédemment fabriqués à l’Observatoire.

Pascal Rochat est reconnu pour résoudre des problèmes complexes à moindre coût. Les exemples de succès dans sa démarche inventive et rigoureuse sont multiples. Son entreprise a été la seule capable de mettre à la disposition de l’Agence spatiale européenne, les deux types d’horloges dont elle avait besoin pour équiper les trente satellites du système Galileo. A ce jour, Spectratime et T4Science produisent environ 4'000 horloges atomiques par an, exportées dans le monde entier. Spectratime fournit les horloges atomiques du système européen Galileo, mais aussi celles des systèmes similaires de navigation en Inde et en Chine. A ce jour, une centaine d'horloges atomiques de Spectratime circulent dans l'espace.

Le succès de Spectratime réside dans la rare combinaison de compétences unanimement reconnues, de créativité, de rigueur et de leadership. Manager humble et humaniste, Pascal Rochat inspire le respect de ses collaborateurs par l’exemple.

Le jury
Cette année, le jury était composé de trois membres de la direction du MIH: Régis Huguenin-Dumittan, conservateur et président du jury, Rossella Baldi, conservatrice adjointe, et Jean-Michel Piguet, conservateur adjoint. Issus de milieux divers en relation avec l'horlogerie, les autres membres étaient: Henry-John Belmont, consultant en horlogerie; Patrick Dubois du Laboratoire Dubois; Estelle Fallet, conservatrice en chef du Musée d'art et d'histoire de Genève; Stephen Forsey, président de Greubel Forsey; Joël Grandjean, journaliste et rédacteur en chef de Watchonista.com; Jean-Pascal Lüthi, vice-directeur du Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation; Morghan Mootoosamy, conservateur du Musée d'horlogerie du Locle, Château des Monts; Nicolas Rossé, journaliste économique à la Radio télévision suisse; Nathalie Tissot, professeure de propriété intellectuelle à l'Université de Neuchâtel; Sylvain Varone, responsable du secteur horlogerie du Centre interrégional de formation des Montagnes neuchâteloises; et Janine Vuilleumier, responsable du Service Information de la FH et rédactrice en chef de la Revue FH.

29.9.2016