Le 5 mai dernier, Ernest Schneider, président du Conseil d’administration de Breitling, est décédé. Rien ne prédestinait cet homme de carrière militaire à devenir un jour patron d’une grande marque horlogère aujourd’hui encore indépendante.
Né le 15 avril 1921 à Fribourg, Ernest Frédéric Schneider est le quatrième enfant d’une famille qui en comptera cinq. Son père était employé aux Chemins de fer fédéraux à la gare de Fribourg, tandis que sa mère était fille d’un artisan cordonnier.
Après ses études au collège et au Technicum cantonal de Fribourg (aujourd’hui Ecole d’ingénieurs), il fait son école de recrue en 1941 à Fribourg dans les transmissions d’infanterie. Devenu ensuite sous-officier, puis officier, il est incorporé au Régiment d’infanterie 7 (le Régiment de Fribourg) et effectuera de longues périodes de mobilisation durant la Deuxième Guerre mondiale. Il entre par la suite à la Fabrique fédérale d’armes à Berne qu’il quittera pour devenir militaire professionnel, responsable des transmissions au Service de l’infanterie et adjoint technique du commandant des Ecoles de transmission de Fribourg. En 1959, il accède au grade de major et devient commandant du Bataillon de fusiliers 15, puis officier à l’Etat-major de la Brigade de forteresse 10.
Au début des années soixante, à la suite du décès de son beau-père, l’industriel horloger Théodore Sfaellos, Ernest Schneider se voit confier la direction de l’entreprise horlogère Sicura à Granges. Grâce à sa formation d’ingénieur et à son tempérament de chef, il donnera très vite des impulsions à cette maison et accroît sa production par des implantations d’ateliers dans des régions périphériques disposant de réserves de main-d’œuvre. L’atelier de Bonfol, dans le Jura, en est un exemple. Au milieu des années septante, l’entreprise subit de plein fouet la crise qui affecte l’horlogerie traditionnelle par l’arrivée massive sur le marché de montres électroniques produites au Japon. Ernest Schneider parviendra à faire face à la situation en produisant aussi des montres électroniques, comme l’excellente Stunt Watch, et en continuant de croire en l’avenir de la montre mécanique.
En 1979, la société Breitling de Genève sombre et ses activités sont stoppées. Ernest Schneider rachète l’entreprise et lui donne un nouvel envol en sachant capitaliser sur la longue tradition de la marque, surtout auprès des pilotes d’avions de ligne. L’effort permanent de développement conduira au lancement de trois produits, les montres Chronomat, Aerospace et Emergency. Ces garde-temps seront aussi le fruit d’une collaboration avec les Frecce Tricolori, patrouille d’élite des Forces aériennes italiennes, qui a apporté un influx technique et esthétique. Ayant une résidence dans le Sud de la France, située non loin de l’aéroport militaire de Salon-de-Provence, base aérienne de la Patrouille de France, Ernest Schneider, détenteur lui-même d’un brevet de pilote, nouera des relations privilégiées et fort utiles avec cette célèbre formation et ses pilotes. C’est à cette époque que Théodore Schneider, fils d’Ernest, ayant acquis de l’expérience dans l’horlogerie et dans l’aviation comme pilote d’hélicoptère, vient seconder son père. Il s’en suivra un remarquable effort de positionnement de Breitling sur le plan international. Théodore sera aussi le réalisateur de l’usine moderne de La Chaux-de-Fonds pour la production des propres mouvements de la marque. Il est aujourd’hui président et directeur général de Breitling.
Après la crise horlogère des années septante, de nombreux augures prédisaient la disparition de la montre mécanique. Or, celle-ci a continué de connaître du succès. Pour pallier au manque de personnel spécialisé dans ce domaine, Ernest Schneider, en visionnaire, a acquis en 1980 la société chaux-de-fonnière Kelek, manufacture réputée de montres mécaniques de grande complication et disposant d’un personnel horloger hautement qualifié. Cette entreprise sera par la suite intégrée dans Breitling.
Le parcours d’Ernest Schneider témoigne des grandes qualités de l’homme et de son esprit d’entreprise. Pour réussir, il lui a fallu de l’intuition, une vision d’avenir, mais surtout la conviction de pouvoir réussir et le courage d’entreprendre et de s’imposer. Hommage donc à ce grand acteur du monde horloger.
28.5.2015