Le Prix Gaïa 2023 distingue trois talents horlogers

Trois nouveaux lauréats viennent compléter l’impressionnante liste des récipiendaires de ce prix souvent décrit comme le Nobel du monde de l’horlogerie. Cette distinction récompense depuis 1993 des carrières extraordinaires accomplies dans ce domaine, de son art et de sa culture. La bourse Horizon Gaïa a également récompensé un jeune diplômé parisien.

Passionnés par le guillochage, l’histoire de l’art ou encore la fabrication de mouvements, trois acteurs de la branche horlogère se sont vus distinguer, le 21 septembre dernier au cœur du Musée international d’horlogerie (MIH), d’un dôme de cristal. Régis Huguenin-Dumittan, conservateur des lieux et président du jury du Prix Gaïa, a remis les trophées aux lauréats suivants:

  • Georges Brodbeck, lauréat dans la catégorie Artisanat et création, pour avoir réhabilité en autodidacte, par amour de la mécanique, un art en voie de disparition dans le registre de la décoration horlogère, le guillochage, et participé au sauvetage et à la restauration de nombreuses machines dont il a su apprivoiser et transmettre les fonctionnements.
  • Hans Boeckh, lauréat dans la catégorie Histoire et recherche, pour sa carrière exceptionnelle menée avec humilité, sa capacité à lier la rigueur de la recherche historique et la connaissance de la matière, tout comme son ambition de rapprocher les institutions privées et publiques actives dans la conservation des collections et du patrimoine.
  • Miguel Garcia, lauréat dans la catégorie Esprit d’entreprise, pour sa vision entrepreneuriale menée avec une force de caractère et des valeurs hors du commun, sa démarche industrielle bousculant l’ordre établi dans le domaine de la fabrication de mouvements et le développement prodigieux de sa société.

 
Artisanat et création: Georges Brodbeck
Né en 1951, Georges Brodbeck s’est formé au Technicum de La Chaux-de-Fonds. Il y obtient son diplôme de mécanicien de précision en 1971. Engagé d’abord chez Voumard Machines, c’est au sein de la manufacture de cadrans chaux-de-fonnière Natéber SA qu’il rentre dans le milieu de l’horlogerie en 1973. En 1981, il prend la direction de la Malaisie au sein de la fabrique de cadrans Precima comme responsable de production. Il assure aussi la formation des mécaniciens, ainsi que la maintenance et l’amélioration de l’outil de production. De retour en Suisse en 1987, il œuvre pour Imhof, Fehr, Union Carbide.

Un jour, un oncle lui offre une vieille machine que Brodbeck va restaurer et refaire fonctionner. Cette dernière, qu’il voyait uniquement comme un objet de décoration et qu’il installe dans son salon, sera en réalité à l’origine d’une véritable passion pour le guillochage et la restauration de machines anciennes.

Dans les années 1990, il se concentre sur le guillochage chez Lemrich Cadrans, Stampfli Gravure et enfin Stern.

Le rachat, en 1995, de l’atelier de guillochage de Pierre Rosenberger, à La Chaux-de-Fonds, le propulse peu à peu sur la voie de l’indépendance. Il restaure toutes les machines à guillocher afin d’assurer la production des tapisseries et du guillochage.

En 2001, Georges Brodbeck devient indépendant et fait de cette passion sa principale activité. Ses compétences en restauration d’anciennes machines sont particulièrement importantes dans son domaine puisque les outils servant au guillochage ne se font plus depuis des décennies. Georges Brodbeck œuvre pour les plus grandes marques de montres haut de gamme.

Le guillochage n’est alors plus simplement une technique mais bien davantage un art. Georges Brodbeck est par ailleurs un grand amateur de motos et il revêt ponctuellement le costume de guide au Musée de la boîte de montre, au Noirmont.

En 2023, le guillocheur cesse l’activité qui a été son métier et sa passion pendant de nombreuses années. Mais cette fin est en réalité une transmission, car Georges Brodbeck a confié ses outils et son savoir-faire à un successeur qui pourra, à son tour, faire vivre et évoluer l’art du guillochage.

Histoire et recherche: Hans Boeckh
Fils de parents artistes peintres, Hans Boeckh est né à Heidelberg, en Allemagne, le 4 juillet 1937. Après sa scolarité, dès 1955, il suit sa formation professionnelle à Pforzheim, centre reconnu pour la qualité de sa production dans l’horlogerie et l’orfèvrerie, où il termine son apprentissage de bijoutier-orfèvre. Après son service militaire, il poursuit sa formation dans le dessin, la gravure et l’émaillerie à l’Ecole des arts appliqués. En 1962, il obtient sa maîtrise et l’année suivante son diplôme de créateur dans le domaine de la gravure.

Il travaille dès lors à Genève, à Lucerne et à Rio de Janeiro dans la création de modèles de bijoux et de montres. Au Brésil, il installe une fonderie pour la production de bijoux en séries, puis expose à la Biennale de São Paulo. Durant cette période, il obtient de nombreux prix, tant à New York qu’à Genève, où il remporte à cinq reprises le Prix de la Ville.

L’intérêt de Hans Boeckh pour l’histoire de l’art et le rôle de Genève dans ce domaine l’incite à suivre parallèlement des études en histoire de l’art, en archéologie classique et en archéologie paléochrétienne qui se solderont par un doctorat à l’Université de Fribourg en Brisgau, en 1980. Sa thèse, qui s’intitule «La peinture sur émail genevois sur les montres du 17e et du 18e siècle», servira de thème à une exposition d’échange culturel à Saint-Pétersbourg, à Moscou et à Tbilissi entre la Suisse et l’Union Soviétique.

Depuis lors, il travaille dans la recherche des sources iconographiques de l’émail européen des 17e et 18e siècles en s’appuyant sur les grandes collections, notamment celles de Genève, Paris, Londres, Stockholm, Dresde et Vienne.

Hans Boeckh contribue, dès 1997, à la mise en place du Musée Patek Philippe de Genève (inauguré en 2001) et y occupe le poste de conservateur jusqu’à sa retraite, le 1er janvier 2008.

Esprit d’entreprise: Miguel Garcia
Miguel Garcia Segovia naît le 15 novembre 1966 à Madrid, en Espagne. Il arrive en Suisse, dans les Montagnes neuchâteloises, en 1971.

En 1987, il rejoint Sellita Watch Co SA, fondée en 1950 à La Chaux-de-Fonds par Pierre Grandjean, en tant qu’aide de bureau. Gravissant progressivement les échelons de l’entreprise, il prend successivement en charge la direction de la fabrication, puis celle du service commercial avant d’être nommé directeur général en 1997.

En 2003, Miguel Garcia rachète l’intégralité du capital-actions de Sellita Watch Co SA qui constitue la pierre angulaire du groupe Sellita. Au fil du temps, il transforme l’entreprise, qui compte initialement une centaine d’employés, d’une simple société d’établissage en une véritable manufacture intégrée de mouvements mécaniques, avec près de 600 employés à La Chaux-de-Fonds et 900 pour l’ensemble du groupe.

En 2005, Miguel Garcia cofonde Gurofa (Glashütter Uhrenrohwerkefabrik GmbH) à Altenberg, en Allemagne. Cette société est spécialisée dans la fabrication d’ébauches. Miguel Garcia en devient le seul propriétaire en 2007. Gurofa connaît une croissance significative. Après trois agrandissements successifs de son site de production, elle dispose aujourd’hui de 5’000 m2 et d’une centaine de collaborateurs.

En 2008, Sellita quitte son site historique au cœur de La Chaux-de-Fonds pour s’installer au Crêt-du-Locle dans une nouvelle usine à la pointe de la technologie (Sellita I).

En 2013, alors que l’ordre établi dans le domaine de la fabrication de mouvements vacille, Sellita s’agrandit encore avec la construction du bâtiment Sellita II, toujours au Crêt-du-Locle. L’année suivante, Miguel Garcia rachète la société Technicor SA, aux Breuleux, spécialisée dans la décoration horlogère et la galvanoplastie. Elle occupe une trentaine de collaborateurs.

En 2018, Miguel Garcia lance la marque Manufacture AMT. Celle-ci représente le bras technologique de Sellita et propose une large gamme de mouvements haut de gamme et personnalisés. Parallèlement, Sellita poursuit sa croissance à La Chaux-de-Fonds et inaugure, en 2019, son bâtiment Sellita III au Crêt-du-Locle, augmentant ainsi la surface de production de 12’000 m2 à 17’000 m2.

En 2020, Miguel Garcia rachète la société de décolletage Helios A. Charpilloz SA, fondée en 1882 à Bévilard et poursuit ainsi sa démarche de verticalisation de la production du groupe Sellita. En 2023, Helios inaugure sa nouvelle usine, à Court. Avec une superficie de 10’000 m2, l’entreprise dispose désormais d’une infrastructure ultramoderne qui lui permet d’offrir un cadre agréable à ses 120 collaborateurs et de renouer avec son histoire prestigieuse.

Bourse Horizon Gaïa: Etienne Curtil
A côté des trois catégories dans lesquelles des personnalités confirmées du monde horloger sont distinguées, Horizon Gaïa est une bourse d’encouragement, rendue possible grâce à la bienveillance de la Fondation Watch Academy, mise au concours à l’attention de la relève dans les domaines de prédilection du prix Gaïa: artisanat et création, histoire et recherche et esprit d’entreprise. La bourse finance tout ou partie d’un projet individuel.

Le boursier Horizon Gaïa 2023 est Etienne Curtil, jeune diplômé du Département histoire et philosophie des sciences de l’Université Paris Cité. Son projet individuel intitulé «Mouvement perpétuel et flèche du temps: héritage de la thermodynamique» entend développer des outils de médiation à l’intention du grand public permettant de mettre en lumière l’importance de la thermodynamique dans le domaine de l’horlogerie et de la mesure du temps.

28.9.2023