Le Prix Gaïa récompense trois talents horlogers

Nico de Rooij, Laurent Barotte et Edouard Meylan

Unique en son genre, le Prix Gaïa distingue chaque année les meilleurs parmi les meilleurs, celles et ceux qui ont contribué ou contribuent à la notoriété de l’horlogerie, de son histoire, de sa technique et de son industrie.

Le MIH marque par ce prix sa reconnaissance aux héritiers spirituels de la culture horlogère qui imprègne les collections du musée, comme de la ville.

Le 22 septembre dernier, Régis Huguenin-Dumittan, conservateur du MIH et président du jury du Prix Gaïa, a remis les distinctions aux lauréats de cette cuvée 2022.Composé de onze personnalités actives dans le domaine de l’horlogerie, le jury a désigné:

  • Laurent Barotte, lauréat dans la catégorie Artisanat et création, pour son expertise dans le domaine de la restauration en pendulerie, pour sa passion communicative et pour l’ambition des projets menés avec ses étudiants(es) au profit de la valorisation de l’horlogerie monumentale dans l’espace public.
  • Nico de Rooij, lauréat dans la catégorie Histoire et recherche, pour sa carrière exceptionnelle menée dans la recherche en microtechniques, son rôle pionnier joué dans les procédés de fabrication de capteurs et d’actionneurs miniaturisés en silicium et sa contribution au transfert de technologies au profit de l’industrie horlogère.
  • Edouard Meylan, lauréat dans la catégorie Esprit d’entreprise, pour sa carrière audacieuse et sa démarche entrepreneuriale menée en défendant la belle horlogerie mécanique en toute indépendance tant au point de vue du développement de produits et de composants que de la communication.
     

Artisanat et création: Laurent Barotte
Né à Giromagny (territoire de Belfort) en 1961, Laurent Barotte obtient son Certificat d’aptitudes professionnelles (CAP) en horlogerie à Besançon en 1980, avant de poursuivre ses études à l’Ecole d’horlogerie du Locle dans la section micromécanique et pendulerie (Technicum, 1982-1983), puis au Musée d’horlogerie du Locle, de 1983 à 1984, où il se spécialise dans la restauration de pendules anciennes. Durant trois années, il travaille à Berne, chez Scherer, avant de mettre ses compétences en pratique avec Dominique Mouret à Sainte-Croix, de 1987 à 1990, année où il crée son propre atelier de restauration de pendulerie près de Fribourg.

En 1995, il commence à enseigner, à mi-temps, à l’Ecole technique de Porrentruy en tant que maître de pratique et de théorie d’horlogerie. L’année suivante, il s’installe avec sa famille dans la capitale ajoulote. Parallèlement à son activité d’enseignant, il effectue de nombreuses restaurations de pendules, datant du 17e au 19e siècle, conservées par des privés ou par des musées. A partir de 2003, il devient professeur à temps plein, spécialiste de la pendulerie.

En 2004, avec ses élèves, il achève la réalisation de l’horloge du 100e anniversaire du Centre professionnel de Porrentruy (actuelle Division technique du CEJEF), commencée quatre ans auparavant. Cette horloge, qui a nécessité 1’500 heures de travail, est la copie d’une horloge réalisée en 1754 par Jean-Pierre Droz, de la Ferrière, fournisseur attitré des princes-évêques de Bâle.

Ses compétences lui permettent ainsi de procéder à de prestigieuses restaurations, dont celle d’une horloge à sphère mouvante du 18e siècle du musée Kunstkamera de Saint-Pétersbourg (4’000 heures de travail), de 2004 à 2006, en collaboration avec le Lycée Edgar Faure de Morteau.

Il restaure également, de 2010 à 2011, l’horloge de la porte Saint-Pierre de Saint-Ursanne (1713), équipée d’un mouvement monumental et, en 2016, à nouveau avec ses étudiants, l’horloge de l’Hôtel de Ville de Porrentruy, datée de 1761. Là encore, plus de 1’000 heures de travail orchestrées par Laurent Barotte avec ses étudiants, au profit de l’horlogerie monumentale présente dans l’espace public.

Entre 2007 et 2015, avec le concours de ses étudiants successifs, Laurent Barotte participe à la création, à la fabrication et à l’installation de l’horloge dite «de Québec», une œuvre collective grandiose, cadeau du Canton du Jura à la ville bordant le Saint-Laurent.

Laurent Barotte, homme humble et pétillant, authentique autant qu’extraverti, est à la recherche de la perfection en horlogerie comme dans son enseignement. Il est l’un des meilleurs spécialistes de la pendulerie ancienne et l’un de ses plus grands défenseurs dans les cursus de formation actuels qui tendent à négliger le gros volume au profit de la seule montre. Laurent Barotte est lauréat du prix Artisan d’art 2015 des Journées européennes des métiers d’art (JEMA Jura). Son approche de la formation et sa volonté de transmettre ses connaissances font de Laurent Barotte un enseignant apprécié qui sait susciter des vocations auprès de ses étudiants.

Histoire et recherche: Nico de Rooij
Titulaire d’un Master of Science en physico-chimie obtenu à l’Université d’Utrecht en 1974, Nico de Rooij obtient, en 1978, un doctorat ès sciences techniques de l’Université de technologie de Twente. De 1978 à 1982, il travaille au département de recherche et développement de Cordis Europa NV aux Pays-Bas.

Nommé professeur ordinaire à l’Université de Neuchâtel en 1982, il conduit d’abord le Laboratoire de capteurs, actionneurs et microsystèmes (SAMLAB). Parallèlement à ses activités neuchâteloises, Nico de Rooij enseigne ponctuellement à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) et, dès 1989, il est nommé professeur ordinaire à temps partiel à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Nico de Rooij fait figure de pionnier dans ses recherches sur les procédés de fabrication, de conception et de modélisation de capteurs et d’actionneurs miniaturisés en silicium, un matériau léger et amagnétique. Ces microsystèmes sont développés au profit de multiples domaines comme le médical, l’environnemental, la recherche spatiale ou l’horlogerie. En particulier, le procédé de la gravure profonde de silicium monocristallin (Deep Reactive Ion Etching) a été développé dès 1996 dans son laboratoire, avec pour but initial de fabriquer des composants optomicromécaniques.

Bâtisseur de ponts entre recherche et industrie, Nico de Rooij a initié des transferts de technologies qui ont abouti à la production de nombreux produits innovants. Les composants et microsystèmes créés dans son laboratoire ont permis de donner naissance à plusieurs start-ups dans la région de Neuchâtel (Seyonic SA, Sercalo SA, 1Drop Diagnostics).

Nico de Rooij occupe entre 1990 et 1996, et de 2002 à 2012, le poste de directeur de l’Institut de microtechnique (IMT), d’abord au sein de l’Université de Neuchâtel et, à partir de 2009, rattaché à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). A cette époque, il développe considérablement le pôle neuchâtelois de l’IMT, passant de quatre à dix chaires d’enseignement et accompagnant la construction d’un nouveau bâtiment dédié à la microtechnique en ville de Neuchâtel: Microcity. En 2008, il est nommé vice-président du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM SA) à Neuchâtel et dirige la nouvelle division Microsystems Technology.

Au début des années 2000, le savoir-faire développé dans son laboratoire en matière de gravure profonde a permis au CSEM de fabriquer les roues en silicium nécessaires à la réalisation d’un échappement à deux roues d’ancre, conçu par Ludwig Oechslin et commercialisé par la manufacture Ulysse Nardin dans son modèle Freak, premier garde-temps doté de composants en silicium. Suite à ces prémisses, Nico de Rooij contribue à l’élan de recherche puis à la démocratisation, dans l’industrie horlogère, de l’utilisation du silicium monocristallin dont l’élasticité remarquable permet d’augmenter les performances des mouvements horlogers tout en conservant les principes traditionnels de fonctionnement. Le perfectionnement du procédé de gravure profonde de silicium a été à la base de nombreux projets de coopération avec le CSEM et différentes manufactures horlogères, y compris dans le cadre de la recherche horlogère communautaire (Association suisse pour la recherche horlogère, ASRH) et avec la Haute école Arc. Il a permis de contribuer au renouveau innovateur de l’horlogerie mécanique.

Une collaboration étroite se met en place, en particulier avec la manufacture Patek Philippe. De nombreuses innovations concernant les spiraux, ancres et roues d’échappement utilisant le silicium sont le fruit de cette coopération.

Le savoir-faire en microfabrication et en simulation mathématiques de son laboratoire ont aussi été déterminants pour permettre la fabrication de pièces en silicium incorporant une lame à la dimension d’un sixième de cheveu, permettant, par exemple, de faire fonctionner l’échappement à force constante de la manufacture Girard-Perregaux, inventé par Nicolas Dehon.

En 2005, Nico de Rooij initie le projet de coopération d’envergure CIMENT (Centre interuniversitaire en micro et nanotechnologies) entre l’Université de Neuchâtel, l’Observatoire cantonal de Neuchâtel et l’EPFL. Le développement d’horloges atomiques miniatures a démarré dans le cadre de ce projet.

L’EPFL ouvre en 2011 à l’IMT de Neuchâtel, sous la direction de Nico de Rooij, la chaire Patek Philippe dédiée à l’application de nouvelles micro et nanotechnologies à l’horlogerie, ouvrant de nouvelles perspectives à la tradition neuchâteloise de recherche fondamentale en horlogerie. Il a finalement contribué, en 2013, à la création de Patek Philippe Technologies SA pour la production industrielle des composants horlogers en silicium, constituée d’une équipe issue de la division Microsystems Technology du CSEM et sous la direction de Sylvain Jeanneret.

En 2016, suite à sa retraite, il devient professeur honoraire de l’EPFL. Lauréat de nombreux prix, membre de plusieurs comités directeurs internationaux, il est l’auteur de plus de 400 articles publiés dans ses domaines de prédilection. En outre, il a dirigé et codirigé plus de 70 thèses de doctorat au cours de sa carrière académique, financées la plupart du temps grâce à une habile et judicieuse association entre les milieux académiques et industriels. Nico de Rooij est actuellement président du Conseil d’administration du COSC (Contrôle officiel suisse des chronomètres).

Esprit d’entreprise: Edouard Meylan
Né en 1976 à la Vallée de Joux et issu d’une famille active dans le monde de l’horlogerie, Edouard Meylan a été très tôt intéressé par ce milieu. Adolescent déjà, il allait donner des coups de main dans des manufactures horlogères. Après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur en microtechnique à l’EPFL, il devient consultant dans le cabinet d’audit et de conseil PwC (PricewaterhouseCoopers) à Zurich. Edouard Meylan s’oriente vers l’horlogerie, et vers l’Asie, au début des années 2000, d’abord dans la distribution, puis pour le compte de Desco, dont il est en charge des bureaux de Malaisie, de Singapour et de Thaïlande. Après un retour aux études, le temps de passer un MBA à Wharton (Philadelphie, Etats-Unis), il cofonde Celsius
X VI II, une entreprise de téléphonie mobile basée sur la technologie horlogère.

En 2005, l’entreprise H. Moser & Cie fait sa réapparition sur la scène de l’horlogerie internationale sous l’impulsion du Dr Jürgen Lange. En 2013, la famille Meylan prend les rênes de l’entreprise. Edouard Meylan, son CEO, entouré des membres de sa famille, y insuffle un nouveau dynamisme et positionne la marque comme un acteur audacieux et innovant - parfois provocant - de la scène horlogère et à la communication de laquelle il participe activement et personnellement.

Basée à Neuhausen am Rheinfall, elle emploie aujourd’hui une soixantaine de collaborateurs, a développé à ce jour 15 calibres manufacturés et produit plus de 1’500 montres par année. A travers sa société sœur Precision Engineering AG (PEAG), H. Moser & Cie élabore des composants tels que les organes réglants et les spiraux, qu’elle utilise pour sa propre production, mais qu’elle fournit également à des sociétés partenaires du groupe Moser Watch Holding. En tant que société indépendante, Precision Engineering (PEAG) est le spécialiste des composants horlogers de l’échappement, depuis leur conception jusqu’à la réalisation d’un produit de qualité prêt à être intégré dans le mouvement qu’il doit réguler. Grâce à l’esprit entrepreneurial insufflé à PEAG lors de cette réorganisation, et moyennant les investissements qui ont suivi dans l’outil de production, l’entreprise travaille désormais avec les plus grands noms de l’horlogerie helvétique.

Sous la direction Edouard Meylan, la marque H. Moser & Cie a retrouvé la rentabilité et a réussi à se faire une place particulière dans le monde de l’horlogerie, notamment par la réalisation de «talking pieces» qui font écho à des débats d’actualité. Occupant une position unique qui fait le lien entre l’horlogerie traditionnelle et des designs inattendus, le développement de produits et la communication de marque, Edouard Meylan est connu pour ses positions affirmées. Bousculant les règles, H. Moser & Cie défend la belle horlogerie mécanique en toute indépendance.

Bourse Horizon Gaïa: Julien Gressot
A côté des trois catégories dans lesquelles des personnalités confirmées du monde horloger sont distinguées, Horizon Gaïa est une bourse d’encouragement, rendue possible grâce à la bienveillance de la Fondation Watch Academy, mise au concours à destination de la relève dans les domaines de prédilection du prix Gaïa: Artisanat et création, Histoire et recherche et Esprit d’entreprise. La bourse finance tout ou partie d’un projet individuel.

Le boursier Horizon Gaïa 2022 est Julien Gressot, doctorant achevant une thèse à l’Université de Neuchâtel dans les domaines de l’histoire des techniques. Son projet individuel intitulé «Inventorier, préserver et transmettre un patrimoine technique et scientifique exceptionnel. Retracer l’histoire de l’Observatoire cantonal de Neuchâtel à travers celle de ses instruments scientifiques» entend donner une vision d’ensemble du patrimoine technique et scientifique de l’Observatoire cantonal de Neuchâtel. L’objectif est de réaliser un inventaire précis des instruments scientifiques et de leurs sources afin de favoriser la préservation et l’étude de ce corpus à haute valeur patrimoniale afin de lui fournir une cohérence globale, d’orienter une politique d’acquisition et de transmettre des connaissances sur la vie d’une institution qui a marqué l’histoire de la région.

29.9.2022