Elever la marqueterie de bois au rang d'art

Bastien Chevalier

Installé dans un petit atelier du Nord vaudois, Bastien Chevalier fait partie de la poignée d’artisans qui maîtrisent l’art de la marqueterie de bois. Révélant la beauté de l’infiniment petit, ses réalisations sont le fruit d’un méticuleux méli-mélo orchestré avec soin. Rencontre.

Tableaux contemporains, sculptures ou encore affiches de cadrans achevés ornent chaque recoin de l’atelier sis à Sainte-Croix. L’atmosphère créative qui s’en dégage est véritablement loin de l’image que l’on pourrait se faire de la marqueterie de bois. Une scie à découper, une perceuse, un scalpel, un rapidographe et un peu de scotch. Au-delà de ces simples outils, c’est la patience, la précision, l’exigence et la passion qui donnent vie aux pièces réalisées.

Seul maître à bord, Bastien Chevalier a su dompter cet art pour confectionner des créations d’une extrême finesse. Indépendant depuis quatorze ans, il ne façonne pourtant des pièces horlogères que depuis quelques années.

«La première fois, Vacheron Constantin s’est approché de moi parce qu’un autre artisan de la région, célèbre fabricant d’automates, a parlé de mon travail», confie l’habitant de Sainte-Croix. En petites séries ou alors en pièces uniques destinées à des collectionneurs, chaque réalisation requiert une extrême maîtrise de la technique et des matériaux, mais surtout une patience à toute épreuve et un souci obsessionnel de la perfection.

Divers projets pour l’ECAL (Ecole cantonale d’arts de Lausanne), sculptures botaniques, boîtes à musique pour Reuge ou encore écrins de montres pour Vianney Halter, Bastien Chevalier explore sans cesse l’univers créatif que lui offre la marqueterie de bois. Toutes ses réalisations requièrent une minutie que peu d’artisans maîtrisent.

Cependant, les pièces horlogères, confiées par des maisons comme Vacheron Constantin ou encore Parmigiani Fleurier, lui ont permis d’élever son art à un niveau encore plus exigeant, en allant plus loin en terme de précision, de minutie et de qualité du rendu final. «C’est grâce à des réalisations comme celles-ci que je peux me dépasser».

Créatif et minutieux
Du chêne au teck en passant par l’ébène, Bastien Chevalier travaille avec toutes sortes de bois qui prennent la forme de feuilles, d’une épaisseur allant de 0,5 à 0,8 mm. Bien que certaines essences soient plus difficiles à manipuler que d’autres, c’est toujours le côté visuel final qui prime dans le choix de la matière.

Tout commence par un mandat, un projet sous forme d’ébauche (échelle agrandie). A l’aide d’un rapidographe, un dessin sur papier calque est réalisé avec une précision technique des plus extrême (0,13 mm). Le pourtour de chaque pièce qui compose la marqueterie est ainsi réalisé.

Réduit à l’échelle 1:1, le croquis sur papier révèle véritablement la petitesse des pièces. Scalpel en main, l’artisan découpe minutieusement chacune d’entre elles, puis les appose sur les différents parquets de bois. «Pour l’œil du Panda - pièce exécutée pour Vacheron Constantin -, même en réalisant le dessin calque trois fois plus grand que la taille réelle, c’était très difficile de discerner le contour de chaque pièce. A l’échelle 1:1, un œil fait 1 x 1,5 mm et se compose de 7 pièces! La réalisation complète d’un de ces cadrans - constitué au total de 400 fragments - m’a demandé deux mois de travail, dont un uniquement pour la découpe», déclare l’artisan.

Afin de préserver et maintenir la fibre, chaque feuille de bois est collée sur du simple papier journal. Le choix du bois se fait alors en fonction du dessin d’origine. «Il est essentiel d’anticiper le rendu final et penser dès le départ à la marqueterie terminée. Une fois vernie, la couleur est plus intense. Il faut ainsi bien connaître les essences et savoir comment celles-ci réagissent.»

Avec une extrême minutie, les pièces sont découpées à la scie. A l’aide du scalpel, Bastien Chevalier assemble ensuite les éléments, tel un puzzle, grâce à du simple scotch de carrossier. Un peu de colle d’os et du papier kraft serviront ensuite à l’assemblage de la marqueterie qui atteint alors son apogée après le ponçage et le vernissage final.

Véritable art
«Ici, il n’y a pas de machine à commande nu-mérique. Le travail est profondément manuel. Si on souhaite une marqueterie sans joints, logiquement on doit découper chaque pièce sur la moitié du trait du dessin. Mais dans la pratique, il faut adapter ce principe, le feeling joue alors un rôle essentiel. Chaque bois évolue différemment en fonction de son veinage. Avec le temps, il se patine naturellement. Par contre, ceux qui sont teintés dans la masse se modifient très peu et resteront fidèles aux couleurs d’origines.»

Montres Bastien Chevalier
Avec un ami proche, Bastien Chevalier fonde en 2019 la marque Mbch (Montre Bastien Chevalier). Ces deux passionnés d’horlogerie ont fait le choix de ne produire qu’une poignée de pièces par année et de n’utiliser que le traditionnel «bouche à oreille» pour faire connaître leurs créations. Ces pièces uniques 100% suisses, faites main, se dévoilent dans un boîtier en inox aux cornes particulièrement travaillées. Epuré, le cadran devient un véritable terrain d’expression libre pour l’artisan. Le mouvement à remontage manuel qui les anime se laisse quant à lui admirer à travers le fond transparent.

Bastien Chevalier en bref
Son CFC d’ébéniste en poche, Bastien Chevalier se perfectionne dans la marqueterie auprès d’un ancien lauréat du célèbre concours de Meilleur ouvrier de France, Jérôme Boutteçon. Ce dernier lui enseigne cet art durant près de six années.

C’est en 2003 qu’il prend la décision de créer son atelier de marqueterie d’art. Il y réalise alors différents tableaux et mandats pour des clients tels que François Junod, Vianney Halter ou encore Reuge.

Né avec les années graffitis, cet artiste offre un style très contemporain qui s’éloigne radicalement de l’idée que l’on peut avoir de la marqueterie avec ses images «belle-époque». Son travail a notamment été reconnu à travers des prix internationaux (prix «Best Oddity» décerné par le magazine Wallpaper pour la marqueterie habillant une boîte à musique Reuge). Il a également participé à diverses expositions dont l’événement «Talents Rares» organisé en 2020 aux Arcades des Arts à Genève par la Fondation Michelangelo et la Fondation de la haute horlogerie (FHH). Ce salon artistique présentait quinze artisans européens occupant une place unique dans le monde des savoir-faire d’excellence.

26.8.2021