Récemment, un objet horloger d’une très grande importance, et jusqu’alors inconnu, a été découvert: le premier chronographe jamais réalisé, appelé également «compteur de tierces» par son auteur, Louis Moinet. Les poinçons identifiés sur le fond du boîtier permettent d’affirmer que sa conception a débuté en 1815 pour être terminée en 1816.
Cet extraordinaire compteur, d’une conception tout à fait originale et novatrice, est le reflet du génie d’un homme en avance sur son temps. Il affiche le 60ème de seconde par une aiguille centrale, les secondes et les minutes sur deux cadrans séparés, ainsi que les heures sur un cadran 24 heures. Les fonctions de départ, arrêt et remise à zéro, se font par l’intermédiaire de deux poussoirs et définissent que cet objet est bien un chronographe, dans sa signification actuelle admise dans la profession, et bien que ce terme n’apparaisse que quelques années plus tard pour la dénomination de tels instruments. Le chronographe est également muni du retour à zéro, une fonction tout à fait innovante et révolutionnaire pour l’époque. Jusqu’à ce jour, on pensait que cette invention datait de 1862, selon le brevet d’Adolphe Nicole.
Dès le 19ème siècle, les horlogers tentent d’améliorer la précision de leurs mécanismes. La recherche de la précision absolue fait partie intégrante de la science horlogère. En 1820, il est admis que l’étalon de mesure le plus précis est le dixième de seconde. Dès lors, le compteur de tierces représente l’instrument le plus précis de son temps avec une précision six fois supérieure à la référence précédemment connue. Une mesure du 60ème de seconde qui fait également entrer Louis Moinet au Panthéon des pères de la chronométrie.
Le mécanisme du chronographe bat à 216’000 vibrations par heure (30 Hz), une fréquence absolument inconnue en ces temps-là. Afin de mettre les choses en perspective, la fréquence habituelle d’une montre moderne est de 28’800 vibrations par heure (4 Hz). Louis Moinet est donc pionnier de la haute fréquence. En effet, on attendra exactement un siècle avant de voir une autre montre vibrer à plus de 216’000 vibrations par heure.
Cette invention a été imaginée et conçue pour en appliquer l’usage à un instrument astronomique que l’horloger avait composé quelques temps auparavant. Selon ses propres paroles (extrait de ses lettres manuscrites de 1823): «J’étais venu à Paris en 1815 uniquement pour y composer et faire un compteur des tierces. L’exécution difficile et rarement tentée de cet instrument, dont la composition était neuve, a très bien rempli mon but».
S’il cherchait une si haute fréquence, c’est précisément parce qu’il voulait adapter son rythme à la précision la plus fine: la mesure de la tierce (60ème de seconde) pour ses observations astronomiques. Une fréquence de 216’000 vibrations par heure équivaut à 60 vibrations par seconde. Les 60èmes sont donc précisément battus pendant la seconde.
Afin d’observer les révolutions astrales, il est impératif que le compteur de tierces puisse être utilisé pendant une durée de 24 heures au minimum. Pour ce qui est de la consommation d’énergie, l’horloger répond en disant qu’il a conçu un échappement garni en rubis avec huile, lequel donne 216,000 vibrations par heure, et a très bien fonctionné pendant un usage prolongé.
Louis Moinet a donc imaginé le premier chronographe de l’histoire afin d’observer précisément les déplacements des astres à la lunette. Son invention lui a permis de mesurer exactement la distance des fils réticulaires de sa lunette. Il en explique lui-même les détails (extrait de son Traité d’horlogerie, 1848): «Cette invention me fut suggérée dans mes observations à l’occasion suivante: j’avais acquis un petit quart de cercle mobile du célèbre Borda (auteur du Cercle entier). Cet instrument, d’exécution anglaise et soignée, en équilibre sur un rubis, au moyen de contrepoids ingénieux, devait, suivant son auteur, être préservé par son inertie propre des mouvements du navire, et donner à bord des observations presque aussi exactes que celles faites à terre. Mais ce projet n’eut pas de succès. Ayant donc acquis l’instrument dans une autre intention, j’y ajoutai pour observer à terre, un cercle d’horizon divisé par feu Fortin en minutes, au moyen d’un vernier, deux niveaux croisés, un axe mobile rodé et un support-trépied à vis calantes, avec division, etc. Mais la lunette ayant peu de champ, les fils de son réticule sont très rapprochés, et ce fut pour remédier à l’inconvénient exposé ci-dessus, de manquer l’observation d’un fil, que j’imaginai le compteur de tierces, qui a très bien réussi en me donnant exactement la distance des fils réticulaires».
Aujourd’hui, cette découverte rend hommage à un grand homme dont l’une des devises a été «L’essentiel est de ne pas s’écarter du vrai».
22 avril 2013